Interview avec Marie de Grossouvre pour l'exposition en 2013 à la galerie Théo de Seine, Paris
Est-ce qu’il te semble qu’il y a une grande évolution dans ton travail depuis 2010 (date des premières peintures que tu as laissées à la galerie) ?
Les premières peintures que j’ai exposées à la galerie Théo de Seine sont très importantes dans mon travail. Ce qui était nouveau était surtout le principe de superposition. Avec cela, je suis arrivé à faire une peinture plus précise. Plus précise dans le sens où je la trouve plus conforme à ma façon de voir les choses. J’ai poussé une porte. Et j’ai trouvé une façon de peindre qui me correspondait vraiment et qui me permettait de justement pousser plus loin la peinture.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de changement, mais bien sûr une évolution, peut-être pas très grande, mais importante. Mon travail était très posé il y a deux, trois ans. Le processus était assez lent. Aujourd’hui, il s’y ajoute des moments très impulsifs. Il y avait déjà de la radicalité à l’époque, dans le sens où mes toiles étaient soumises à de très grands changements pendant de processus. Aujourd’hui, c’est pareil, mais il y a des phases variables en tempo, différentes en atmosphère. De plus, je cherche à aller plus loin avec la couleur, la peinture en soi et la texture. J’ai vraiment envie de laisser toute liberté à la peinture. Je ne veux pas l’enfermer dans une cage. Elle n’a pas de service à me rendre.
C’est ce qu’il me semble, mais est-ce une évolution volontaire, une envie de faire évoluer ton travail dans telle ou telle direction ?
C’est un besoin et en même temps une volonté, parce qu’il faut bien s’observer un peu. Et je n’ai pas trop envie de me reproduire, de faire des variations. Chaque toile est une aventure nouvelle et je ne sais pas où elle m’emmène. Mais surtout, j’essaye d’être le plus attentif possible. La peinture m’enseigne, et cette réflexion engendre automatiquement de nouvelles directions.
J’ai bien enregistré que tu avais refusé un enseignement officiel pour apprendre de manière plus autodidacte, mais du coup :
Est-ce que tu t’inscris plus dans une vision plus « art brut », avec l’idée « d’asphyxiante culture » comme le dit Dubuffet ou il y a des artistes dont tu regardes beaucoup le travail, et qui t’inspirent ?
Un moteur principal dans ma vie, dans mon art est la liberté, le besoin d’être libre. Je me sentais plus libre en-dehors d’une institution d’enseignement. Et si on observe bien la plupart des artistes qui sont arrivés à faire quelque chose de personnel et d’innovant, ça se traduisait plutôt par une rupture avec leur enseignement. Je ne voulais peut-être pas attendre avec ça.
Mais c’est vrai, je me sens proche du mouvement de l’art brut, surtout avec des gens comme Chaissac, que j’ai découvert vraiment il n’y a pas très longtemps.
Je ne suis pas vraiment contre les écoles d’art, mais je trouve qu’elles produisent quelquefois des aspects moins positifs pour l’art, comme la manière de penser à une carrière, l’attachement à des positions, en sélectionnant on valorise certains, certains pas du tout, etc. On met tout dans des tiroirs, etc.
Moi-même, je n’aurais pas trop d’envie d’enseigner. Les choses les plus importantes sont à apprendre en observant la vie et, bien sûr aussi, d’autres artistes.
Par exemple, Basquiat, si j’essaie de confronter ton travail au sien, je vois des points communs, dans la manière de s’attacher à la surface de la toile, dans la recherche d’une « harmonie colorée » (même si elle n’est pas conventionnelle), pour lui aussi, l’expérience du moment où il peignait devait être importante...
Mais son histoire est différente de la tienne, et chez toi, une des différences, c’est aussi dans les thèmes, il y a plus de références au monde de l’enfance, de l’humour, même si dans la forme il y a quelque chose d’assez violent. Qu’en penses-tu ?
Il y a certainement des points communs dans mon travail et celui de Basquiat. J’ai aussi appris une chose importante dans sa peinture, comme dans la peinture de certains autres peintres, dont je me sens proche : c’est la radicalité. J’essaye de pousser la peinture plus loin. La peinture, c’est quelque chose de plus grand que moi. La radicalité permet d’aller plus loin, de se détacher, de voir plus. Je trouve aujourd’hui qu’en peignant des toiles, je me crée moi-même. Ça n’a rien à voir avec la question de savoir si la peinture me plaît ou pas. C’est plutôt une question de justesse. Et là, je reviens à ta question. Les sujets s’introduisent d’eux-mêmes. Basquiat avait reçu un livre sur l'anatomie, quand il était jeune, - je crois qu’il était à l’hôpital à cette époque. Mes sujets à moi viennent d’ailleurs. Et je n’habite pas à New York et je n’ai pas envie de consommer des drogues fortes. Je trouve la vie en soi magnifique, même si c’est sûr qu’il y a des choses terribles dans ce monde. Mais ça n’a rien à voir avec la vie. Je n’arrive pas à laisser des trucs sombres dans mes toiles (même si j’y réussis quelquefois très bien, mais je n’ai pas envie de laisser ça comme ça.)
Et oui, l’enfance et l’humour sont très proches de la liberté. Etant enfant, on ne calcule pas, on est. C’est ça la liberté, même si on est obligé d’apprendre certains trucs. Et l’humour est le moyen parfait de garder de la distance, de créer une distance. J’ai l’impression que si on arrive à s’éloigner de soi-même de plus en plus, on s’approche finalement plus que jamais de soi-même.
Par ailleurs, je me dis qu’il y a quelque chose de Dada dans ton travail autant dans cette manière d’ajouter du texte dans les peintures (disons que les dadaïstes sont les premiers à l’avoir beaucoup fait) et dans cette volonté de ne pas laisser le spectateur contempler en paix, mais de faire une peinture tout en mouvement, en chaos, violente parfois (comme notre société) qui l’oblige à réagir. Là aussi, c’est une parenté que tu reconnais ou pas ?
Je reconnais là une parenté, mais je dois admettre que je n’étais pas trop conscient de cela. Le dadaïsme a fait une forte impression sur moi quand j’étais jeune. Surtout avec Kurt Schwitters et Max Ernst. Là encore : Le mouvement, la violence sont des paramètres très importants pour la peinture. Ils permettent d’être précis, même si l’apparence suggère le contraire.
Sinon, en 2010, il n’y avait que des « sans-titres ». Maintenant, le titre est un acteur ?
Aujourd’hui, je trouve qu’une toile mérite un titre. En plus, c’est techniquement beaucoup plus simple de gérer les fichiers, les images, pour communiquer, etc. Mais le titre n’est pas vraiment acteur, il s’impose comme une forme, comme une couleur. C’est quelque chose qui s’ajoute à la toile à la fin, quelquefois même un peu avant, quelquefois il doit être corrigé, un peu comme une couleur trop brillante, ou trop mate, etc. Quelquefois, il est nécessaire de l’intégrer directement dans la peinture, pas toujours, pas trop souvent. Après tout, il n’explique rien. C’est comme quelque chose de poétique en supplément (et là, je crois qu’on rejoint Max Ernst ou d’autres). Et dans ce sens, peut-être qu’il devient acteur.
Il y a aussi sans doute le format qui change ta recherche ?? (Je me rends compte de cela dans les 3 colonnes que j’ai fait)…
Encore aux beaux-arts à Nürtingen, j’avais 21 ans, je me suis mis très tôt à des grands formats. J’ai tout de suite aimé les toiles qui s’imposent, qui sont là. Ce sont de grands trucs, ils interpellent, on est obligé de se confronter à eux. Je suis très content d’avoir retrouvé ça. J’avais abandonné un peu les grands formats, parce que c’était difficile de déménager avec. (Je ne les vendais pas toujours assez rapidement comme aujourd’hui). J’ai déménagé pas mal dans ma vie. Mais ça aussi avait un avantage. Je crois que c’est comme ça que j’ai appris à réussir la peinture sur des petits formats. Voilà.